L’élevage est la période qui suit la fermentation alcoolique et durant laquelle le vin passe d’un état brut à une boisson plus agréable à boire. C’est durant l’élevage que les tanins des rouges s’arrondissent et se polissent. Cette période dure généralement de 6 à 12 mois, 18 à 24 mois pour les rouges les plus tanniques, parfois davantage mais c’est plus rare. Les blancs bénéficient eux aussi d’une intégration parfaite du bois s’ils sont élevés sous bois, et s’harmonisent.
Dans la pratique, les arômes du bois naissent de la dégradation thermique de la cellulose du bois et leur intensité dépend du degré de chauffe choisi (blonde, moyenne, forte) et de sa durée. Des notes variées apparaissent, entre vanille, lacté, caramel, coco, café, torréfaction, pain, qui varient aussi selon l’essence du bois et sa provenance (acacia, chêne américain, français ou autrichien par exemple). Les tannins du bois étant dégradés par la chauffe, il en subsiste peu mais ce sont eux qui, combinés au vin, stabilisent sa structure.
Reste que ces contenants en bois impriment plus ou moins leur marque aux vins, même si les chauffes sont très faibles et que l’on est très pointilleux. Le nouveau goût : pas d’élevage, ou le moins possible, pour laisser le fruit s’exprimer, donner plus de sève et de vibration au vin. Du « vin de soif » au « vin plaisir » voire « glouglou », la mode est au « sans », à l’épure, au moins-disant. Bref, comment en faire moins pour vendre plus, et parfois plus cher.
Plus économe aussi (ne nous voilons pas la face), ce choix a le mérite d’être intransigeant : impossible de masquer un petit défaut derrière de beaux arômes toastés et grillés, voire vanillés caramel coco. Le plus simple en la matière reste la cuve en inox. Sobre, pratique, inodore et incolore, elle constitue le réceptacle le plus neutre d’un point de vue influence aromatique. Mais à ses côtés apparaissent d’autres matériaux, en béton ou en terre cuite. Revenons d’abord à l’inox.
Apparu au milieu des années 1970, à la faveur des progrès industriels, la cuve inox se généralise dans la quasi-totalité des exploitations. Totalement étanche, hygiénique et facile d’entretien, permettant une gestion informatisée des températures, elle s’impose comme le contenant de vinification moderne par excellence. Les années 1980 et 1990 correspondent à un âge d’or, avec des vins qualifiés parfois de « technologiques ». La Champagne notamment prend le virage de l’acier à vive allure, les contenants en bois disparaissant quasi totalement. Ironie du sort, aujourd’hui, de plus en plus de producteurs – vignerons comme grandes maisons – font marche arrière et reviennent, totalement ou partiellement, au bois. Pour des questions esthétiques et de style. Paul-Vincent Ariston, du champagne Aspasie à Brouillet, raconte amusé comment son père avait fait renvoyer la livraison de ses premières barriques. Pour la génération précédente, c’était un mauvais souvenir, pour la suivante, le graal de la tradition et du retour aux sources. La Maison Veuve-Clicquot a elle aussi réintroduit de larges cuves en bois quand d’autres comme Krug ou Louis Roederer les ont toujours portées dans leur ADN.
En ce qui concerne les cuves inox, elles sont généralement de forme cylindrique, la plupart du temps hautes et étroites, parfois horizontales mais surtout très facilement logeables dans une cuverie, faciles à nettoyer, à déplacer, à transporter, thermorégulées ; en somme très fonctionnelles. Elles peuvent aussi disposer de compartiments qui permettent de travailler par gravité ou par petits lots (très pratique pour le parcellaire) et surtout restent neutres en terme de goût par rapport au vin.
Certains encore vont plus loin et mêlent élevage sous bois et en inox avec mesure, parfois à rebours des codes de leur appellation. C’est le cas du Château Bel-Air Marquis d’Aligre à Margaux. Pierre Boyer, son propriétaire avec plus de 70 vendanges au compteur, ne s’embarrasse pas des modes ni de l’air du temps. Il élève ses vins comme au 19e siècle, d’abord en cuves jusqu’au mois de mai, puis pour une courte durée en barriques de bois anciennes avant de revenir en cuves pendant deux ans ; un long vieillissement qui leur octroie une finesse et un délié uniques. Le domaine ne produit qu’un seul vin sur 13 hectares, uniquement les belles années, et les commercialise au compte gouttes.
Cuves et oeufs en béton.
Les cuves en béton apparaissent dans les chais dès la fin du 19e siècle ; elles reviennent à la mode aujourd’hui, en complément ou en remplacement des barriques. Plus faciles d’entretien, s’adaptant aux superficies des caves, minimisant les pertes de vin dues à l’évaporation, ces nouveaux matériaux modernisent grandement les vinifications. Dotées d’une grande inertie, c’est-à-dire un maintien de la chaleur ou du froid de façon constante et prolongée, elles sont parées de presque toutes les vertus. D’autant qu’elles peuvent également servir de cuve de stockage. Enfin elles sont moins chères que l’inox et d’une durée de vie quasi centenaire. C’est pourquoi elles font un retour remarqué et apprécié. Leur seul défaut reste le nettoyage : le béton étant plus poreux, il peut rester des résidus qui sont difficiles à détacher lors du rinçage de la cuve. Mais des revêtement adaptés pallient aujourd’hui cette petite défaillance.
C’est une voie que, là encore, même les plus grands empruntent. A l’image du Château Cheval Blanc qui l’a adoptée en 2011, avec l’installation dans son nouveau chai de 52 cuves béton, alignées sur six rangées. Réalisées d’un seul tenant en Italie, ces cuves se déclinent en neuf formats, de 20 à 110 hectolitres, chacune dédiée, chaque année, à une unique parcelle du domaine. Un produit vintage propulsé dans le 21e siècle avec toute la technique de refroidissement dédiée : du grand art aussi beau qu’efficace.
Existe aussi la cuve ovoïde ou oeuf béton, de plus en plus prisé. Impressionnant, il permet une évolution lente du vin, sans qu’il soit besoin de rajouter beaucoup de soufre. Dominique Belluard en Savoie utilise des amphores pour sa mondeuse et depuis 2004, une petite vingtaine d’oeufs béton pour son gringet, un cépage endémique de la famille du traminer. Dominique Hauvette, installée dans les Baux-de Provence, utilise la même méthode. Même en côte Roannaise on s’y met, comme Stéphane Sérol du domaine éponyme, qui s’essaie avec réussite et talent au vin en amphores sur deux cuvées de gamay. Les grands crus ne sont pas en reste non plus. Le Château Pontet-Canet, Grand Cru Classé de Pauillac et artisan farouche de la biodynamie depuis 2004, a fait le choix de dolias de 900 litres tapissées d’argiles du domaine. Les vins y sont élevés à proportion d’un tiers depuis le millésime 2012 et trouvent une consistance différente de leurs homologues pauillacais avec une texture très crémeuse, délicate, et magnifiquement parfumée. Récemment designé par Philippe Starck, le Château Les Carmes Haut-Brion à Pessac-Léognan a lui aussi installé 24 jarres d’élevage.
L’amphore en terre cuite fait un retour en force depuis une dizaine d’années, propulsée sur le devant de la scène par des vignerons de talent comme Yves Canarelli en Corse, Thierry Germain dans la Loire, Benoît Tarlant en Champagne, Elisabetta Foradori en Toscane, Stéphane Tissot dans le Jura ou encore Stéphane Azemar à Cahors. Ce large vase à double anse, au col resserré, servait à transporter les liquides, qu’ils fussent du vin, de l’eau ou autres potions. C’est en Géorgie, mère-patrie du vin, que l’on trouve le savoir-faire le plus abouti pour leur fabrication. Le pays revendique d’ailleurs la paternité des jarres enterrées, les qvevris, d’une contenance généralement supérieure à mille litres, plus rarement utilisées chez nous. Mais certains irréductibles s’y convertissent, comme Thierry Germain, qui élabore un rouge de macération, Outre Terre, issu de cabernet franc. Ce vin élevé un an en fûts est au préalable vinifié huit mois dans des amphores géorgiennes de 8 hl où les jus macèrent avec les peaux. Stéphane Tissot, dans le Jura, utilise également des amphores depuis 2009. Il a d’abord employé des 420 litres pour une de ses cuvées de savagnin, non oxydative. Ce « vin orange » macère ainsi 6 mois puis repasse un court temps en fûts, offrant ainsi une matière légèrement tannique. Depuis trois ans il s’essaie au trousseau, un cépage rouge, passé en amphore géorgienne de 1000 litres.
Temps suspendu.
Reste que l’un des paramètres de l’élevage, outre le contenant, est la durée. Généralement, un vin passe entre 6 et 12 mois en élevage, parfois moins, parfois bien davantage. C’est le cas notamment en Espagne, avec les Reserva et Grand Reserva, mais aussi, au cas par cas, des temps d’élevage variables. La star Valbuena du célèbre domaine Vega Sicilia passe ainsi cinq ans en fûts et en bouteilles avant d’être commercialisée.
A l’inverse, pour accélérer le processus ont été mis au point dans les années 60 des alternatifs pour « boiser » les vins tout en évitant un élevage long et coûteux. Cette aromatisation par des stèves ou des copeaux s’est largement répandue dans les années 90, à la faveur d’un goût pour les vins boisés, aux notes toastées et vanillées prononcées, en particulier pour les vins du nouveau monde (Australie, Amérique du Sud, Afrique du Sud). Autre temps autres moeurs, il semble que s’amorce, depuis ces dix dernières années, une tendance inverse, où le fruit revient sur le devant de la scène sans autre attribut. L’engouement pour les vins dits nature a accéléré et soutenu cette tendance, où l’élevage fardé est mis au rebut, presque catalogué comme un défaut. Aujourd’hui il faut des vins joyeux, légers, gouleyants, des vins de fruit, à l’élevage court, distribués et bus dans l’année suivant leur récolte. Les grands crus n’échappent pas à cette tendance, en particulier les liquoreux, que l’on souhaite plus légers, plus aromatiques, moins boisés. Les seconds vins, voire les troisièmes vins comme le Pessac de Haut-Bailly ou le Margaux du château Brane-Cantenac entrent dans cette catégorie. Seule limite à ne pas franchir : à valoriser le fruit et l’expression aromatique, il ne faudrait pas oublier que le vin est avant tout matière, forme et texture. Que les deux vont de pair et que la complexité aromatique se nourrit de la structure. Des vins frais et précis, oui, des ersatz de jus de fruits ou de pétillants, pas vraiment.