Saint-Jo blanc, l’atout fraîcheur du Rhône  

Flanquées sur les coteaux escarpés de l’appellation, marsanne et roussanne formulent des blancs ciselés et pleins de fraîcheur restés confidentiels. Une découverte urgente !

Sur la rive droite du Rhône, pris dans les méandres du fleuve, Saint-Joseph glisse ses rangs de vignes et s’éparpille entre des sols, des climats et des territoires variés. C’est sur ces terres à rouges colonisées par la syrah que quelques plants de roussanne et de marsanne entrent en résistance. Quelques lieux-dits restreints d’altitude s’arrogent le monopole de ces blancs, sur des sols argilo-calcaires – notamment le Massif de Crussol – ou de loess bien identifiés, adjoints de granits, les plus aptes à mettre en valeur leur minéralité et leur salinité. Ces micro secteurs bien ventilés, perchés sur les coteaux, restituent de petits volumes, représentant 14 % de la production et 201 hectares cultivés. Contre moins de 10% il y a à peine dix ans ! Mais « planter du blanc reste difficile sur nos coteaux » me confie Joël Durand, co-président de l’appellation. « Les sols de lœss, de calcaires ne sont pas infinis ».  Et de poursuivre : « En 2022, on a vu que la roussanne n’aimait pas le soleil, à l’avenir, il faudra davantage d’endroits ombragés ».

Minoritaires, mais identitaires !

La fraîcheur est leur meilleur atout. Les coteaux bien ventilés, l’altitude qui grimpe jusqu’à 350 mètres, la double influence continentale et méditerranéenne et des sols peu séchants offrent des espaces propices à la minéralité de ces blancs ; les pH naturellement bas, le rapport acidité-alcool préservé fondent des vins harmonieux, avec une belle tension, de la fraîcheur et de la persistance.

La marsanne, implantée sur 136 hectares (près des deux tiers de l’encépagement en blanc) est généralement plus présente sur les bas de coteaux où les sols de loess possèdent une réserve utile en eau plus importante ; elle offre généralement du corps et de la structure et de beaux arômes de fruits mûrs. La roussanne (65 hectares) occupe plutôt les zones d’altitude, plus calcaires, forgeant des vins plus longilignes et plus floraux. La plupart des cuvées associent les deux variétés, quelques-unes privilégient uniquement la roussanne. 

Dégustation à l’anonymat 

J’ai pu déguster 41 échantillons des millésimes 2022, 2021 et 2020 le 16 mars dernier à Tain l’Hermitage. Forcément, les classiques sont sortis du lot mais quelques nouveautés ou surprises ont émergé ! (Les prix sont donnés TTC départ cave, à titre indicatif).

Domaine Pierre et Jérôme Coursodon. Installé à Mauves sur 19 hectares, sur des sols très granitiques, cette adresse vedette uniquement vouée à Saint-Joseph est un modèle de réussite. Des vins parfaitement élevés, aussi bien blancs que rouges, composent une gamme sans fausse note qui sert le marché français à 70%. Un Vin de France baptisé Étincelle associe 70% de viognier à la roussanne sur de jeunes vignes plantées en 2013 ; le 2022 (17€) est ultra plaisant, fuselé et énergique, offrant du viognier une lecture tendue et épurée. Frais, pur, floral, avec de beaux amers en finale, voilà un cas d’école. Le Saint-Joseph Silice Blanc 2022 (26€). Vivace et primesautier, un vin aiguisé tenu par de beaux amers structurants, entre finesse et consistance. Le Saint-Joseph Paradis Saint-Pierre Blanc 2021 (35€). Cette marsanne de 80 ans sur granites allie force et tension dans un boisé fin, avec 15% de fûts neufs qui restent en retrait.

Les rouges valent bien évidemment le détour, élevés en barriques et en 600 litres. La Syrah Silice 2022 offre un fruit croquant et gourmand, Le Lieu-Dit Saint-Joseph Rouge 2022 est plus concentré, c’est un jus ferme, long, persistant, à la rémanence mentholée. L’Olivaie 2022, des vignes de 70 ans, se montre plus épicé, avec beaucoup de puissance mesurée. Enfin La Sansonne 2022, 100% fûts neufs, est la quintessence du domaine, les meilleurs lots qui offrent bien sûr un vin plus moderne, plus affirmé et plus toasté, voué à la garde.

Domaine Jean Gonon. C’est le chouchou des amateurs ! Ce petit domaine de 10,5 ha dont deux de blancs ne dispose que de vignes en sélection massale, en coteaux, qui ont entre 12 et 35 ans, et 60 à 100 ans pour les plus âgées. La gamme est courte, entamée par un Vin de France Blanc à base de chasselas de 130 ans, planté en 1890 ! Une surprise très agréable, avec de la tension et de la finesse. En Saint-Joseph, Les Oliviers 2021 est à 80% marsanne. Une belle trame qui sent le caillou, la pierre à fusil, avec un côté franc, rigoriste, fin et longiligne. Indémodable et tellement iconique ! Le 2022 est plus rond et plus généreux. En rouge, Jean Gonon assemble différents lieux-dits pour formuler depuis 1988 cette cuvée 2021 fine et délicate, modèle de concision et d’efficacité, avec des notes d’épices, d’herbes séchées. 

Domaine Aurélien Chatagnier. Cela fait vingt ans désormais qu’Aurélien Chatagnier s’est approprié Saint-Joseph et ses environs ; il n’est donc plus un petit nouveau, œuvrant sur 7,5 ha en Condrieu, Côte Rôtie, Cornas, Saint-Joseph et vins de pays. 2021 est son 20e millésime ! La gamme est sobre, plus réussie en blanc qu’en rouge à mon sens, avec un Saint-Joseph Blanc 2021 (24,50€) aux notes de citron confit, d’abricot, une trame généreuse et bien menée qui fondent un vin de fond, élancé, parfaitement tendu et gracieux. « Je cherche la tension, la fraîcheur, le respect du vin avec des chauffes très légères, et des barriques cintrées à la vapeur ». Le Condrieu 2021 reste dans cette même veine de fraîcheur, sur la violette et les épices, pas trop appuyé, avec de fins amers en finale. Le Saint-Joseph Rouge Zélée 2021 est une sélection parcellaire sur des granits ferrugineux ; fin, profond, frais et tendu, avec une belle salinité en finale, il convainc largement.

Maison & Domaine Les Alexandrins. Nicolas Jaboulet a créé « Maison & Domaines Les Alexandrins » en 2009 avec ses acolytes Guillaume Sorrel et Alexandre Caso. Le Saint-Joseph Blanc 2021 (26€) prône un équilibre souverain, un raisin bien traité, un boisé fondu et mesuré : ce blanc de tempérance, très élégant, s’étire sur de fins amers dans une finale vibrante.

La Cave de Tain. Cette cave coopérative est un modèle de dynamisme et de réussite. Elle compte 260 adhérents pour 1050 ha, couvrant toutes les appellations du Rhône nord, avec 15% de blancs. Chaque année, 4,5 millions de bouteilles partent de ses chais, dont 10% sont désormais certifiés en culture biologique. Depuis 2014, une nouvelle cave permet de travailler au large et notamment les sélections parcellaires. 

Sur Saint-Joseph, la Cave vinifie 129 ha de rouges et 12 ha de blancs situés autour de Saint-Péray, sur des granits et des argilo-calcaires. Trois cuvées de blancs se côtoient dans une vision plutôt moderne du cru, cernées par un boisé perceptible. Terre d’Ivoire 2021 (27€) adopte ce style large, généreux et charnu, campé sur un beau toasté. Le Blanc 2021 Bio (22,75€) reste dans ce style moderne assumé, avec une belle patte boisée, déroulant un jus relativement cossu.

Domaine Jean-François Jacouton. Ce domaine compte 8 ha dont la moitié sur Saint-Joseph. Désormais rejoint par son fils Hugo, Jean-François Jacouton réalise des vins très appliqués, sobres et élégants, comme cet IGP Ardèche Tentation 2022 (11€), un blanc de marsanne et de chasselas pour un quart, à la fois fin, vif et élégant. Le Saint-Joseph Souvenir d’André Blanc 2021 (23€) est tout autant convaincant, avec un nez finement grillé, un jus ample et tendu, des amers bien posés sur un corps svelte. C’est un très beau classique, appliqué et irrésistible. Un superbe rapport qualité-prix !

LES IMMANQUABLES

Michel Chapoutier. Les Granilites 2020 (33,70€) est une magnifique cuvée magistralement élevée, associant la consistance d’un grillé toasté avenant et la finesse du millésime. 

Domaine du Monteillet Stéphane Montez. Un Blanc 2021 (21€) à la fois floral et finement aiguisé ; c’est un assemblage à dominante de roussanne parfaitement exécuté, sur la fraîcheur, sans aucune empreinte boisée perceptible (élevage en demi-muids).

Domaine François Villard. Fruit d’Avilleran Blanc 2021 (23,90€). Des notes de fruits du verger, de la richesse sans lourdeur, de l’ampleur et de la finesse. Un blanc dédié à la table en priorité.

Domaine Yves Cuilleron. Lieu-Dit Digue Blanc 2021(26,60€). Une maturité affirmée avec des notes chaudes, de fruits jaunes, encadrées par une pleine consistance. La pure identité de Saint-Jo !

Domaine Pierre-Jean Villa. Saut de l’Ange Blanc 2021 (45€). Un jus vibrant, fin, précis, cerné de beaux amers qui soulignent et enrobent une trame où se mêlent notes de miel fin, d’épices et de froment. La finale saline clôt l’exercice avec autorité. Hélas, il est aussi le plus cher de la sélection.

LA DÉCOUVERTE : Famille de Boel France. Ce domaine passé sous les radars possède un pied au nord et l’autre (très) au sud, sur le Massif d’Uchaux. Récemment créé en 2018 par Nelly et Arnaud de Boel France, il crée la surprise avec un Saint-Joseph Rue des Poulies Blanc 2021 particulièrement réussi. Tout en fraîcheur florale, ce blanc élevé en cuves uniquement détaille un jus pimpant, plein fruit, porté par la finesse et la délicatesse. Passé par la Nouvelle-Zélande au Clos Henry (Domaine de la famille Bourgeois, acteur important à Sancerre et Chavignol), chez Courbis pour Arnaud, Chapoutier pour Nelly, le couple s’est installé en 2015 à Lemps, constituant peu à peu son vignoble en plantant autour de sa maison. En 2018, ils achètent 9 ha dans le sud sur Uchaux et Sainte-Cécile. Dans le nord, ils possèdent désormais 5 ha sur Cornas (1,4 ha), Saint-Joseph (3 ha) et en vins de pays. 

Le premier millésime est 2018, en cultures biologique et biodynamique. En rouge, j’ai pu goûter le Côtes-du-Rhône Massif d’Uchaux Alep Rouge 2021 (16€), de belle finesse, et le Cornas Ars Magirica 2021 (33€), parfaitement réalisé, épicé et délicat. Je reviendrai un peu plus tard et plus longuement sur cette découverte, avec une dégustation exhaustive de la gamme.

Encépagement de l’appellation (2019)
Syrah : 1 262 ha (86 %) Blancs : 201 ha (14 %)
Marsanne : 136 ha (68%) Roussanne : 65 ha (32%)

Articles recommandés