Marie et François Giraud se sont fait un nom et un prénom. A Châteauneuf-du-Pape, ils mêlent cépages et terroirs dans des jus confondant de fraîcheur et d’intensité, sans aucun artifice. Un dialogue passionnant !
Dans une autre vie, François et Marie auraient très bien pu être bouilleurs de cru, comme leur grand-père maternel Paul Biou. Mais des alambics, de la chaleur moite et de l’odeur du marc frais, il ne reste rien, ou plutôt des traces enfouies dans les murs de la cave, autrefois aménagée en trois silos, et témoins d’un passé révolu. La distillerie a définitivement fermé ses portes en 1974, marquant la fin d’un règne et d’une époque. Désormais, place au vin, gage de subsistance et de notoriété, comme du temps des Papes.
C’est le père de François et Marie, Pierre, qui a hérité de 8 hectares bien placés sur Châteauneuf. S’il vend son raisin en vrac, il prend quand même le soin d’agrandir son vignoble jusqu’à 19 hectares, en des temps où le foncier est encore abordable. En 1998, épaulé par son ami Philippe Cambie, oenologue réputé du cru et qui oeuvre à la réussite de nombreuses propriétés, et prévoyant la relève, il décide de la première mise en bouteille. Cinq and plus tard, ses enfants le rejoignent et reprennent les rênes de la propriété. Elle est l’aînée, oenologue formée à Montpellier, lui s’épanouit dans les vignes. Chacun à sa place, les rôles bien répartis, les choses sérieuses peuvent commencer. D’autant que Pierre leur laisse le champ libre dès 2005 et tire sa révérence pour laisser la nouvelle génération s’exprimer.
Repartir de zéro, faire bon et bio
« On a un peu tout chamboulé ! avoue François, et notamment diminué les rendements. » Et puis en 2008, ils ont engagé la conversion du vignoble vers l’agriculture biologique, une étape importante qui leur tenait à coeur à tous deux. « C’était un pas décisif. On est tellement contents de l’avoir pris. Les premières années, on a perdu 40 % de rendements, mais maintenant ça va mieux. » Pour autant, pas le temps de chômer dans les vignes, d’autant que la surface élargie du domaine ne laisse aucun répit : aux 19 hectares de Châteauneuf s’ajoutent 10 hectares sur Lirac, repris en 2011, plus 5 en vins de France. Même si l’époux de Marie, Guillaume, est venu renforcé les effectifs, le travail ne manque pas. « Lirac, explique Marie, c’était un coup de coeur total. C’est une appellation qui souffre d’un défaut de notoriété mais qui donne des vins fabuleux, pour peu que l’on s’y intéresse. Nous avons récupéré des vignes magnifiques, sur des sables, mais qui étaient dans un état catastrophique. On les a toutes remises en état, un boulot de fou ! »
Effectivement, lorsque l’on goûte les vins de ce terroir, un rouge et un côtes-du-rhône blanc qui ne peut encore prétendre à l’appellation, on est séduit par la finesse et la fraîcheur de leurs trames. Les Sables d’Arène 2019, issu de 4 hectares clos sur des sols de sables agglomérés, est un assemblage égalitaire de grenache blanc et clairette. Passé sous bois pour un tiers du volume, il déploie un jus friand, enjoué et bien équilibré, plutôt réjouissant. Son alter ego en rouge, le lirac du millésime 2018 (grenache à 60 %, syrah et mourvèdre) déploie un caractère plus puissant autour de notes de zan, de réglisse, d’olive et de fruits noirs. Un tempérament corsé mais qui cache de beaux tanins frais qui s’étirent dans une finale aiguisée. Le 2019 qui suit se montre plus coulant, plus fondu, un fruit encore plus frais et apaisé.
Le juste fruit, la fraîcheur maximale
Ce qui plaît à Marie et François, et ce qu’ils recherchent avant tout pour leurs vins, ce sont justement ces arômes frais, pas surmûris. « On aime le fruit frais, on n’aime pas le pruneau ! » lâche Marie. Une démarche qui se veut on ne peut plus tranchée dans leur cuvée de syrah et cinsault estampillée vin de France, un jus gourmand et fin, tout en fruit croquant. Sobrement baptisée Marie & François, elle place d’emblée le style du domaine.
Pour obtenir ces jus suaves, qui ne s’oxydent pas au vieillissement, l’élevage en cuves béton (pour le grenache) ou en foudres (pour la syrah) est privilégié. Un parti pris très intéressant qui convient bien au style franc des vins et qui, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ne raccourcit pas les finales ni n’écourte leur potentiel. Ainsi, toute la série des châteauneufs conte une attachante lecture de ce terroir contrasté, où les Giraud possèdent des vignes dans différents secteurs, ce qui permet de mêler les styles selon les types de sols.
En préambule, le blanc Galimardes 2019, répartition parfaite entre grenache blanc, clairette, roussanne et bourboulenc, livre un jus très floral, avec du gras et de la puissance, mais sans aucune surenchère ; on apprécie la finesse du trait, révélée par un élevage en cuves béton aux deux tiers. « Ce terroir de galets roulés nous est cher explique François. Ce sont des vignes centenaires. C’est ici que mon père a planté les premiers blancs il y a quarante ans. » Aujourd’hui, ce vaste ensemble situé au sud du village compte 9 hectares. Le rouge Galimardes dont il est issu, dégusté sur le millésime 2017, joue une partition quasi parfaite. Juteux, filant, il glisse sans entraves, avec une légère note fumée, un fruit intact, de compotée de fruits rouges, de réglisse également. On sent le côté caillouteux du terroir dans la finale longue et intense, de grande continuité.
Ces deux cuvées signatures du domaine, ainsi que les cuvées Sables d’Arène se distinguent aussi par leurs étiquettes, dessinées par le cousin de la famille, Rudy Ricciotti, l’architecte du Mucem.
Dans un autre registre, la cuvée Grenaches de Pierre 2018, sur le terroir sableux de Pignan, au nord-est du village, est une ode au cépage. Les vignes centenaires, plantées en 1901, l’élevage exclusif en cuves béton, offrent un jus dense, très juteux, des tanins veloutés et une belle tension.
Un succès bien mérité
Fidèles à la restitution de Châteauneuf, les Giraud composent aussi une cuvée Tradition, à partir de différentes parcelles de leur vignoble, élevée un an en cuves béton. Ce sont des vignes de grenaches essentiellement (80 %) complétés de syrah et mourvèdre, âgées entre 50 et 80 ans. Sur le millésime 2018, le style très frais et délicat se montre particulièrement efficace, accompagné de notes de pivoine et de fruits rouges. Une trame pure, une extraction douce confèrent à ce vin une gourmandise peu commune pour un châteauneuf.
Le résultat d’une matière première impeccable, des raisins sains cueillis à juste maturité. « On déguste les baies tous les jours pour vérifier leur maturité confie Marie. On ne fait pas d’analyses, on juge en goûtant les raisins. C’est une question de précision, et cela se joue à quelques jours près. Entre le nord et le sud de nos différentes parcelles, il y a seulement 2 kilomètres mais quasiment un mois de différence en terme de maturité ! Les grenaches de Pignan, on les ramasse début octobre. »
Des choix judicieux, une attention de tous les instants, et des méthodes simples et efficaces au chai. Les Giraud n’ont pas de secret, juste l’envie de réussir et la passion chevillée au corps. « Le vin a pris le dessus sur ma vie et sur tout le reste ! C’est quand même un engagement personnel intense. C’est 7 jours sur 7 » dit Marie.
Un engagement total qui, au bout du compte, porte une réussite éclatante, en France bien sûr mais aussi tout autour du monde, car les vins s’exportent bien, dans 25 pays. « On a tout développé : nos parents nous ont juste donné des vignes et un hangar » conclut François. En parfaits alchimistes, ils en font de l’or.