A Figari, sur cette terre de bout du monde posée au sud de l’île, Yves Canarelli a bâti sa légende. À force de volonté et de pugnacité, il a créé des vins identitaires et préservé un patrimoine unique. Une force d’âme toujours vaillante !
Sur cette terre dure et gélive, balayée par des vents permanents, adossée à la montagne, Yves Canarelli ne renonce à rien. Ni à ses vignes, ni à son histoire, ni à son île. Héraut de la préservation des cépages autochtones, pionnier de la culture en biodynamie, défricheur passionné et insatiable pourfendeur de l’identité corse, ce vigneron hors pair fait la fierté de la Corse.
Car Yves Canarelli est l’un des vignerons les plus respectés. Des débuts modestes, il y a trente ans, pour reprendre les vignes paternelles. Et puis une émancipation cinq ans plus tard, sur une appellation confidentielle, Figari, encore sous les radars de la critique et des amateurs. Le talent du jeune homme de l’époque fait mouche immédiatement ; la biodynamie, les cépages anciens, la fraîcheur des lieux forment des cuvées à part, saluées pour leur finesse et leur caractère affirmé.
En 1997, à la naissance de son fils, Yves initiait son premier millésime, plantait une oliveraie de 2000 arbres et remettait au goût du jour quelque 40 variétés de cépages endémiques, dont le minustellu, le carcaghjolu niero et le bianco gentile. À ce titre, Yves Canarelli – tout comme Jean-Charles Abbatucci à Ajaccio – fut un des précurseurs de la renaissance d’une tradition viticole corse connue jadis pour sa variété de cépages.
Indissociable de Figari, un terroir d’arènes granitiques très particulier, coincé entre mer et montagne, cerné par l’Alta Rocca et le massif de l’Omu di Cagna, Yves Canarelli reste prophète en son pays. Le climat y est plus froid que sur le reste de l’île, plus venté aussi. « On a parfois des -5° l’hiver, mais aussi l’eau qui descend de la montagne, et ce vent qui souffle abondamment » explique t-il. Une spécificité qui n’a pas effrayé le vigneron à se convertir au bio, dès 2002, animé avant tout par la recherche de la qualité. « C’est Olivier Poussier qui m’a convaincu pour la biodynamie. » En 2006, le pas est franchi. « Dans un vin biodynamique, le ressenti et la vibration sont différents. Je l’ai moi-même expérimenté » témoigne Yves.
Des cuvées au sommet de la Corse
En 2009, le domaine franchit un nouveau cap avec l’éclosion de deux nouvelles cuvées. La première, Tarra d’Orasi, est née sur une parcelle de vignes préphylloxériques, la seconde, Amphora, est vinifiée en amphore de terre cuite. Ces deux vins, fleurons de la gamme, offrent une résonance particulière. Orasi, classé en vin de France, assemble 18 cépages sur un hectare, des vignes franches de pied plantées il y a plus de 150 ans, sources de sélections massales pour le domaine. Un vin ample, complexe, contant tous les parfums de la Corse ! En dégustant le rouge 2017, plus concentré que le 2018, Yves Canarelli exulte. « Si on irrigue, on modifie la tonalité du millésime. 2017 était une année de sécheresse, et bien quand tu bois les vins, tu bois l’année ! » Un respect total du raisin, de son environnement, qui pousse le vigneron à figer l’année et à la transcender par ses assemblages, ses expérimentations, ses terres.
Amphora est une autre lecture du lieu : vinifiée sans ajout de sulfites, dans des amphores ouvertes, cette cuvée n’est pas suivie d’élevage. Il y a seulement la fermentation des raisins puis un assemblage en cuves, donnant une large matière aux vins, blanc et rouge, forgés sur la densité et de beaux parfums épicés. L’essence même du raisin est là, l’ombre du vigneron, en retrait. « En 2012, j’ai débuté avec de la macération mais cela gommait le goût du cépage. J’ai tout changé et je ne fais plus de macération ». Un volte-face empirique, comme les grands savent faire.
Enfin en 2010, un autre projet voit le jour, Tarra di Sognu, porté par l’amitié qui le lie à Patrick Fioramonti, alors directeur et sommelier de l’Hôtel Cala Rossa. C’est à Bonifacio cette fois, encore un peu plus au sud. Il faut dire que cette enclave du bout du monde regardant la mer déroule un paysage à couper le souffle, cernée de murs de pierres sèches remontés à main d’homme. Un îlot de 5 hectares de calcaires repéré en 2010, défriché en 2013 et vinifié pour la première fois en 2016. Cette « terre du rêve » (tarra di sognu) semble un nouvel éden pour Yves Canarelli, le terreau d’une démonstration majeure, celle de prouver que tout au sud de la Corse, sur ces sols blancs balayés par les vents, il était capable de faire renaître un patrimoine végétal et d’exhumer un nouveau standard de cuvées parcellaires.
Les terres blanches de Bonifacio
Ce nouveau grand cru de Corse, révélé par le talent et la pugnacité d’Yves, s’offre en rouge et en blanc, sous la mention vin de France. Il est venu compléter une gamme déjà éloquente, entre le « petit clos » rouge et rosé, la cuvée domaine, et les cuvées parcellaires : Costa Nera, un 100% carcaghjolu neru en vin de France, réalisé depuis 2008, Alta Rocca, un pur sciaccarellu, la cuvée Amphora et Tarra d’Orasi.
Sur Tarra di Sognu, le calcaire est particulièrement dur, la terre peu profonde, une vingtaine de centimètres et l’on arrive sur la roche. « Avant, il n’y avait rien. On a voulu recréer l’âme de l’endroit. Pour cela, on a tout défriché et rendu au lieu sa configuration originelle. » explique Yves. Et d’ajouter, émerveillé : « Il y a des ondes géniales ici, c’est paisible. C’est la force du calcaire. Le granit, c’est différent, ça a plus d’impact. » Dans ce lieu bordé par la forêt et tombant dans la mer, enchâssé dans une végétation méditerranéenne variée, les anciens cultivaient déjà la terre. Les abris de pierre sèche, de forme circulaire, appelés « baracun », portent la trace d’une activité humaine forcenée, où atteindre le lieu, déjà, comptait pour exploit.
Yves Canarelli a l’ambition des plus grands vignerons de pousser toujours plus loin la résonance de leurs terroirs, de chercher, au-delà des cépages et des millésimes, des voies d’expression nouvelles, des chemins inexplorés ; à cela s’ajoute une conviction forte, l’urgence de préserver un patrimoine, de s’adapter à son environnement et au changement d’époque, en accompagnant sans cesse la vigne, sans la brusquer.
Ainsi, sur ces hauteurs calcaires de Bonifacio, les cépages locaux (sciaccarellu, minustellu et carcaghjolu neru pour le rouge, vermentino, bianco gentile, genovese et carcaghjolu bianco pour le blanc) trouvent un écrin à leur mesure, continuant d’inspirer et de nourrir un vigneron insatiable et aujourd’hui son fils.
Car désormais, Simon-Paul marche dans les pas du père, désireux comme lui de perpétuer ce patrimoine. « Je m’occuperai toujours du Clos Canarelli bien sûr, d’autant que la nouvelle cave que je m’apprête à construire permettra de vinifier mes vins et ceux de Tarra di Sognu. » Mais le garçon n’a pas attendu qu’on lui dise quoi faire ; ce caractère jovial et sympathique s’accompagne d’une vision précise et compte bien faire un pas de côté pour imprimer sa marque. Parvenu sur ses terres, à quelques encablures de Tarra di Sognu, il envisage déjà les vins qui seront prochainement produits ici, certainement pour le millésime 2026. « On finit de tout défricher, de remonter les murets et on plante en janvier » assure t-il. Les 10,80 hectares plantés sont forgés d’un calcaire un tout petit peu différent, moins dur et plus chargé en argiles que Tarra di Sognu. « On aura des vins un peu plus riches » poursuit-il.
Yves n’est pas loin, admiratif du lieu et du projet. « Quoi de plus beau pour un vigneron que d’imaginer un rêve et de le réaliser ? On rêvait de calcaires depuis toujours. On a cherché longtemps et puis on a eu cette opportunité. Je pensais au blanc essentiellement au début et puis j’ai eu la surprise du rouge, c’est fabuleux ! » Et de conclure : « Quand tu vois que tout ce que tu avais imaginé, tu le retrouves dans le verre, c’est magique. »
En bref
Terroirs : granites pour le Clos / calcaires durs pour Tarra di Sognu (vignes plantées en 2013)
Exposition : sud-est
Culture : biodynamie
Superficie : 32 ha pour le Clos (38 ha au total) // 5 ha pour Tarra di Sognu // 15 ha d’oliviers et 3 ha d’agrumes.
Cépages : sciaccarellu, minustellu et carcaghjolu neru pour le rouge ; rimenese, bianco gentile, carcaghjolu bianco, genovese, vermentino pour le blanc.
Tarra di Sognu, un rêve éveillé. En 2010, Yves Canarelli s’associe au sommelier Patrick Fioramonti pour mener à bien un projet nouveau baptisé Tarra di Sognu. Né sur cinq hectares situés sur le grand enclos calcaire de Bonifacio, le vin produit depuis 2016 confirme la naissance d’un premier grand cru corse, d’une tension minérale qu’on ne rencontre nulle part ailleurs sur l’île. Biodynamie, levures indigènes, cépages endémiques, élevage en foudres et demi-muids, tout converge vers l’excellence.
(Cet article est paru dans le N°4 du Magazines Racines / Vente à la Propriété).