Artisan émérite de la Champagne, Francis égly a porté son domaine au sommet. Aujourd’hui, ses enfants Clémence et Charles assurent la transmission, poursuivant à ses côtés l’oeuvre de toute une vie.
Dans ce coin de Champagne qui semble endormi, sagement rangé sous les ondulations de la Montagne de Reims, l’agitation est ailleurs. A fond de cave, entre les rangées de tonneaux alignés au garde à vous, des vignerons s’affairent, vouant leur temps et leur énergie à ces vins qui font rêver le monde entier. A Ambonnay, la famille égly oeuvre en maestro, suivie par toute une génération de jeunes vignerons, investie elle aussi à faire surgir la quintessence de ces terroirs de craie. Pourtant, la réussite n’a pas toujours été au rendez-vous et si les champagnes égly-Ouriet font aujourd’hui offices d’étalons de la qualité suprême, les débuts furent difficiles, marqués par une époque tortueuse. « Du temps de mon grand-père, c’était les cultivateurs qui étaient riches, pas les viticulteurs ». Francis égly plante le décor. L’histoire a commencé un peu par hasard, à la fin du 19e siècle, lorsque Frédéric, son arrière grand-père, arrive à Bouzy pour raisons médicales ; le jeune garçon ne peut plus respirer les poussières de charbon de la Capitale et toute la famille décide d’emménager dans cette campagne un brin austère et pauvre. Devenu garde champêtre à Ambonnay, il cultive quelques arpents de vignes, une piètre subsistance alors. Son fils Charles reste au village et rachète 2 à 3 hectares de vignes. C’est véritablement avec la génération suivante, incarnée par Michel, que le domaine se structure dans les années 60. Deux décennies plus tard, la Champagne frémit d’un succès naissant. « On a commencé à commercialiser nos vins à cette époque raconte Francis. J’étais fils unique et je n’ai pas eu d’autre choix que de rester travailler avec mon père. » Un léger regret de ne pas avoir pu continuer ses études. « A quinze ans, ma vie était déjà toute tracée. Mes parents comptaient sur moi, j’ai toujours travaillé dans les vignes ».
Deux nouvelles cuvées
Rien à voir avec ses deux enfants, Clémence et Charles qui, contrairement à leur père, ont fait un choix tout à fait motivé pour rester sur le domaine. Il y a encore peu, le vignoble comptait 12 hectares dont dix en grands crus sur Ambonnay, Verzy, Verzenay et Bouzy. Aujourd’hui, il s’est agrandi à 17 hectares. Un élargissement qui n’a rien d’une ambition forcenée, voué surtout à accueillir la génération suivante. « On a repris les vignes de Trigny de ma mère, sur le massif de Saint-Thierry. » explique Clémence, 27 ans, qui gère plus particulièrement la partie commerciale quand son frère, de deux ans son cadet, s’occupe essentiellement des vignes. Ce sont ainsi 3,25 hectares de meunier qui s’ajoutent aux deux hectares de Premier Cru du même cépage, sur le terroir de Vrigny. « Nous avons aussi eu l’opportunité de racheter progressivement deux hectares à Bisseuil, en Premier Cru. Des chardonnays essentiellement, avec un tiers de pinot noir et de meunier. » Cette acquisition leur a permis de vinifier une nouvelle cuvée baptisée sobrement les-vignes-de-bisseuil. Et qui, contrairement au style habituel, joue des raisins blancs plutôt que des noirs, mais conserve la même rigueur d’élaboration, soit une vinification en fûts et un vieillissement en caves de quatre ans avant dégorgement. Commercialisée à la fin d’année dernière, à partir de la récolte 2016, cette nouvelle venue dans la gamme a tout de suite rencontré un franc succès, en France mais aussi et surtout aux Etats-Unis, le premier marché export du domaine. Et comme si une nouveauté ne suffisait pas, les égly ont dérogé à la règle, initiant une cuvée d’assemblage des trois cépages, non millésimée, précisément issue des vignes de Trigny nouvellement reprises : Prémices. Ce nouveau champagne, non dosé, constitue désormais le socle de la gamme, la première marche au style égly.
Passage de témoins
Ce petit pas de côté permet l’accès à la Maison d’un plus grand nombre de consommateurs car disons-le, les étiquettes estampillées égly-Ouriet ne sont pas légion et leur cote ne glisse jamais. Une constance dans la qualité qui tient tout autant à celle de ses créateurs qu’à l’exigence de tous les instants observée sur chaque détail. Francis égly est un adepte de la fidélité, de la simplicité et de la cohérence. Dans son chai, les mêmes barriques de 228 litres, en provenance d’un seul tonnelier bourguignon, son ami Dominique Laurent. Dans les vignes, des labours, du bon sens et l’utilisation de produits bio, sans pour autant revendiquer la certification. « Je ne veux pas m’enfermer dans un cercle, personne ne détient la vérité » argue Francis égly. Pas d’école, pas de coterie, pas de mode d’emploi. « Je fais comme je le sens ; je reste attentif, mesuré » poursuit-il calmement. Et de livrer une partie de la recette : des vignes en bonne santé. Cela semble à hauteur d’enfant, mais le métier de viticulteur est plus stressant qu’il n’en a l’air, devant jongler avec les aléas climatiques, une nature parfois coriace et un brin capricieuse. « On a une pression énorme » poursuit le vigneron. Alors tout est parfaitement réglé, une organisation méticuleuse que les enfants ont reprise à leur compte. Le chemin de vendange est rodé, les deux pressoirs assurent une récolte en continu, sans temps mort, et dans le chai à barriques, terminé d’aménager il y a cinq ans, règne un silence de cathédrale où, seul parfois, le bruit d’une bonde qui saute troue ce calme épais.
Cet ordonnancement porte le cadre de la réussite de la Maison, mais n’empêche pas son évolution. Initiateur du premier « blanc de noirs » en 1989, la cuvée de vieilles vignes les-crayères, Francis égly construit pas à pas et garde la tête froide. « Je peux passer quarante fois devant un pied de vigne sur une année pour ramasser un kilo de raisin. » Des vendanges mûres à point, des assemblages à l’instinct, avec le coeur, une belle proportion de vins de réserve conservés en cuves : il n’y a pas de secret égly. Juste l’assurance d’être juste, attentif, efficace. Des qualités dont Charles et Clémence semblent avoir hérité. Une chose est sûre : comme les vins, « qui prennent de la force en vieillissant », ces deux-là sauront évoluer à merveille et ajouter leur prénoms à l’héritage familial.
A savoir… Il y a encore peu, le vignoble comptait 12 hectares dont dix en grands crus sur Ambonnay, Verzenay et Bouzy. Aujourd’hui, il représente près de 17 hectares. Un élargissement pensé pour accueillir la génération suivante grâce à l’apport en 2016 des vignes de Trigny de Madame Egly, 3,25 hectares sur le massif de Saint-Thierry qui font la cuvée Prémices. Puis l’opportunité de racheter progressivement deux hectares à Bisseuil, en Premier Cru, s’est aussi présentée.
En bref
Superficie : 16,75 ha
10 ha de Grands Crus (8 ha de pinot noir et 2 ha de chardonnay)
8 ha sur Ambonnay, 1,70 ha à Verzenay, 30 ares à Bouzy.
2 ha de meunier en Premier Cru sur Vrigny.
1,5 ha de chardonnay en Premier Cru sur Bisseuil.
3,25 ha sur Trigny dans le massif de Saint-Thierry.