En quarante ans, Alain Brumont a hissé ses madirans sur le toit du monde. Visionnaire, ce franc-tireur jamais à court d’idées poursuit aujourd’hui avec son beau-fils Antoine le projet de toute une vie.
Du tertre qui cerne la propriété, on perçoit, par beau temps, jusqu’à la silhouette des Pyrénées qui s’encastrent dans l’horizon, plaqués en fond de décor. À près de 300 mètres d’altitude, Château Montus s’intercale fièrement entre bois et rangs de vignes, défiant le climat, la montagne, les vents.
Alain Brumont en est son consul et son dépositaire, œuvrant depuis quarante ans à la renommée de la propriété familiale et avec elle, à celle de Madiran et de tout un pays ondulant dans les méandres de l’Adour.
Bâti à force de persévérance et de bons coups terriens, le vignoble règne désormais sans partage, érigeant le cépage tannat au rang de roi. Alain Brumont conte volontiers qu’il échangeait des terres à maïs rachetées à bon prix contre des carreaux de vigne. À l’époque, peu souhaitent s’entêter à récolter et vinifier ce cépage jugé rustique et rocailleux. Lui y croit dur comme fer.
L’école de la vie
Alain Brumont est né à Bouscassé, dans la ferme familiale de Maumusson, en 1946. La propriété compte plusieurs hectares de vignes, un peu d’élevage, des céréales. Le voilà très tôt enrôlé dans les champs ; un apprentissage sous forme de corvées, une école de la vie rude et intransigeante.
À dix-sept ans, fasciné par l’agriculture, il décide de s’y vouer totalement, consacrant tout son temps à la vigne. Pendant quinze ans, il replante tout le vignoble de Bouscassé – dix-sept hectares à l’origine, soixante aujourd’hui – défrichant le bois à la main.
Quinze ans plus tard, guidé dans sa quête du Graal par l’éthique de Léonard Humbrecht, il entreprend d’en produire lui aussi. En 1980, il tombe un peu par hasard sur la propriété de Montus, vingt hectares de vignoble en friche et un château à moitié écroulé. Alain pressent le potentiel de ce terroir de galets et de graves où, dit-on, Napoléon III s’approvisionnait. Il y plante la vigne à haute densité, soit plus de pieds à l’hectare que l’exige l’appellation, et réduit drastiquement les rendements, laissant seulement six grappes afin d’obtenir une maturité phénolique bien supérieure. Montus 1982 éclot dès la deuxième feuille, assemblé aux classiques cabernets franc et sauvignon. Le millésime 1985 marque un tournant. Le premier 100% tannat voit le jour avec la cuvée Prestige de Montus. Un vin mémorable, élevé à 100 % en bois neuf, porté par une chair intense, profonde et un fruit noir luxuriant, qui propulse Alain Brumont dans l’aristocratie viticole. Son vin sort premier d’une dégustation à l’aveugle où s’alignent pourtant les cadors de l’élite bordelaise. « Tout le monde pensait que c’était Lafite » se souvient Alain. Depuis, les vins d’Alain Brumont trustent encore les premières places, ombrageant les poids lourds de la Rive gauche bordelaise…
Malgré quelques jalousies corporatistes et menus déboires avec les carcans de l’appellation, Alain Brumont continue de défricher à grands coups d’innovations. En 1988, il décide de planter une parcelle de dix hectares, orientée à l’ouest. La Tyre devient vite un vin icône, un vin élevé quatre ans en barriques à la profondeur envoûtante. Puis ce sera la cuvée XL, élevée quarante mois en foudres, comme le pratiquaient les anciens. Enfin, le 3 décembre 1988, Brumont récolte ses premières vendanges tardives ; « j’ai été le premier à faire des liquoreux. Depuis, tout le monde en a replanté ».
Une vigne, un bois, une vigne
« Les années 80 ont été celles des fondations. La décennie suivante fut celle du développement, les années 2000 le temps de l’innovation. » Viennent des expérimentations – et des succès – à tout va, des vins de Gascogne et en 2008, un insolent pinot noir porté par les terroirs plus calcaires de Bouscassé, plus précoces de quinze jours que Montus. En 2018, le pinot noir de Montus naît à son tour, sur quatre hectares de galets et de graves.
Insatiable, Alain Brumont est d’abord un précurseur. « Tout le monde parle d’agroforesterie, moi j’ai toujours planté des haies et fait cohabiter les bois, les arbres fruitiers et la vigne. »
À Montus comme à Bouscassé, la biodiversité est un prérequis ; le potager et la serre nourrissent chaque jour les 70 salariés et les invités de passage. Partout, disséminés sur les 350 hectares de terres, des poiriers, des pommiers, des nèfles, des coings… pas moins de cent variétés de fruits qui strient le paysage aux côtés des rangées de haies. Et bien sûr des céréales, 90 hectares de tournesol, soja, sorgho et maïs, histoire de perpétuer les traditions et de renouer avec ses racines. Et des poules « On a monté notre poulailler il y a vingt ans, avec des Noires de Bigorre, la fameuse poule au pot d’Henri IV ! »
« Aujourd’hui, on est à la moitié du chemin » avoue Alain Brumont. Lui a assuré les quarante premières années. À son beau-fils Antoine Veiry, le fils de sa femme Laurence, de bâtir les quarante prochaines. À 27 ans, lesté d’une solide expérience, le jeune homme semble envisager l’avenir avec le même engagement et la même pugnacité que son beau-père. Sans se départir d’une petite touche personnelle et quelques idées qu’il compte bien faire accepter. Lucide, il connaît bien le personnage, le respecte, le bouscule aussi un peu parfois, à dessein. « Alain est un bâtisseur. Il a besoin de finisseurs. On doit encore aller dans le détail, éprouver de nouvelles idées ; désormais on dispose de tous les moyens techniques et scientifiques pour réaliser nos projets. À nous d’avancer et de poursuivre l’approche Brumont » analyse tranquillement Antoine. Cette démarche totale prend en compte aussi bien la vigne et la vinification que l’environnement et la vie de l’entreprise : à Montus, tout transpire de l’empreinte du maître des lieux. Son énergie est communicative, ses idées enthousiasmantes et ciment de tous. Pour autant, derrière ces rêves de grandeur et d’hégémonie reste l’ancrage local et historique. « On ne lâchera pas l’appellation, même si elle n’a pas toujours été tendre avec moi. » affirme Alain. Des querelles, des jalousies, des rancœurs qui font aussi partie de ce parcours de vie peu commun, forcément débordant et outrancier aux yeux de certains. « On y reste attaché. C’est Madiran qui a fait Montus » reconnaît-il.
Le temps du changement
Une appellation en souffrance, qui court un peu après son image, tiraillée entre des velléités de grandeur et un repli sur une identité béarnaise plus secrète. Un chantier qui attend Antoine et dont il a bien conscience. Pour fédérer, le jeune homme sait s’entourer. « Ici on ne compte pas ses heures, c’est un engagement total, mais cela fait partie de la vie de l’entreprise, son côté familial. » « Le levier, c’est la viticulture poursuit le jeune homme. Il y a vingt ans, les rendements étaient le vrai sujet ; c’était même une vérité. Aujourd’hui, ce n’est plus forcément le cas. Laisser six grappes par pied, d’accord dans les millésimes frais. Mais dans les millésimes solaires, ça ne marche plus. Alors on teste, on fait des essais en fonction des natures de sols. » Et d’ajouter : « le vignoble compte 237 parcelles pour quasiment autant d’hectares. Il faut s’adapter et comprendre comment travailler avec nos différents sols et climats. Surtout avec le changement climatique. On doit encore avancer sur cette compréhension du terroir. »
Très présent à la vigne, Antoine ne lâche rien en cave. Méticuleux, observateur, curieux, il s’essaie là aussi à diverses expérimentations pour hisser d’un cran encore la qualité des vins. « En 2020, j’ai vinifié les trois profils du terroir de la Tyre séparément, entre les argiles, les galets roulés et la partie plus calcaire du centre. » Tout en fûts neufs, histoire de bien cerner la personnalité de chaque micro terroir. Le choix des tonneliers, la forme et le volume des contenants l’intéressent aussi beaucoup. Chaque année, 350 barriques neuves pénètrent dans le chai cathédrale de Montus, aux côtés des foudres, des cigares de 300 litres ou des barriques de 600 litres signées Stockinger, la Roll’s autrichienne de la tonnellerie.
Avec pour seule ambition : des élevages longs qui affinent les vins et les portent dans le temps. « Il faut conserver des élevages longs et faire le vin qui arrive au siècle », selon le credo de Brumont. D’où également, depuis 2017, l’emploi de la vendange entière sur certaines cuvées de tannat et des essais de vinification différents. « La première année, le bois neuf muscle le vin pour lui permettre de tenir ; les deuxième et troisième années sont des phases d’éducation. La barrique marque le vin quand celui-là n’est pas à la hauteur ou quand l’élevage est trop court. »
Il faudra à Antoine de la force et de l’entraînement pour emmener Montus sur une marche plus haute encore. Et suivre la cadence d’Alain Brumont avec au programme, la réfection des chais de Bouscassé d’ici cinq ans. Viendra ensuite le temps où Alain passera définitivement la main et se consacrera pleinement à ses autres passions : les brebis manech à tête noire, une race du Pays basque adoptée durant le premier confinement, et le porc noir de Bigorre, une filière qu’il soutient depuis trente ans.
EN UN COUP D’ŒIL
Superficie en production : 225 hectares
Superficie totale : 350 hectares
Cépages : tannat, cabernet franc, cabernet-sauvignon, petit courbu, petit manseng, pinot noir
Altitude : 150 à 280 mètres