Grand entretien avec Michel Chapoutier

« Il faut remettre au goût du jour les clairets, ces rouges frais et légers ! »

Figure emblématique du vignoble à la parole respectée, Michel Chapoutier analyse les défis de la filière à l’aune du changement climatique et de la baisse de la consommation. 

Le changement climatique impose des contraintes à toute la filière. êtes-vous inquiet ?

Je ne cède pas aux sirènes alarmistes et je reste optimiste, certain de la capacité de résilience de la vigne. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les millésimes 2003 et 2020 : avec le même climat de sécheresse, on n’a pas du tout obtenu les mêmes vins ! Il ne faut pas oublier que la vigne s’adapte en permanence à son environnement. Regardez les syrahs australiennes ou californiennes, qui possèdent le même patrimoine génétique que celles de la vallée du Rhône : avec des températures bien plus élevées, de 3 ou 4 degrés de plus qu’en France, elles arrivent très bien à donner de bons vins. Nos cépages ne sont pas en danger au point de les modifier à grande échelle ; l’Europe bénéficie de l’influence océanique du Gulf Stream, et tant qu’elle durera, on sera protégé. 

Pourtant des déséquilibres sont observés et les aléas climatiques causent beaucoup de dégâts.

En effet, l’adaptation ne suffit pas. Le réchauffement serait davantage une déshydratation de l’air pour certains scientifiques et à ce titre, on a plus de nuits claires, d’où plus de gelées blanches au printemps. On peut tailler plus court, ne pas courber les baguettes de viognier chez nous par exemple, mais cela ne suffit pas. Le gel est la vraie menace et les solutions mises en oeuvre aujourd’hui restent partielles ou très coûteuses. Des recherches sont actuellement menées sur des nano-hormones mais cela reste encore expérimental et cher.

Qu’en est-il de l’irrigation et des ressources en eau du vignoble ?

Je pense que la rétention des eaux de pluie dans des lacs collinaires serait l’une des solutions à conditions de creuser des lacs suffisamment profonds pour limiter l’évaporation. J’en ai créé un au-dessus de ma ferme de Saint-Vallier où j’ai des vignes en IGP, il fait 12 mètres de profondeur. C’est une solution à mon sens plus équitable que le pompage dans les nappes phréatiques. La logique est de stocker l’eau, c’est vrai aussi pour les piscines individuelles, ce que font les Australiens depuis bien longtemps ! Lors des épisodes cévenols de l’automne (orages violents et localisés accompagnés de pluies très importantes, ndlr), on peut très bien envisager de récupérer toute cette eau de pluie, cela pourrait représenter une année d’irrigation !

Corollaire de vendanges plus précoces, des degrés d’alcool plus élevés dans les vins.

Pour ma part j’égrappe de moins en moins et j’apporte plus de vendange entière ; on peut ainsi baisser le degré final de 0,5 à 0,7, sans avoir d’astringence, car la rafle est mûre, mais cela reste marginal. La désalcoolisation partielle est déjà autorisée en Europe mais cette méthode soustractive est bien sûr préjudiciable en terme d’arômes. La solution la plus respectueuse serait d’enlever du sucre et de réhydrater. Pour le moment, les essais ne sont pas totalement concluants ; les brasseurs sont les plus avancés en la matière car cela fait plus de 15 ans que la bière sans alcool est entrée dans les habitudes de consommation.

Des vins très alcoolisés ne favorisent-ils pas une sorte de désamour pour le vin en général ?

Je pense que la consommation de vins baisse en France pour deux raisons principales. L’alcool d’abord en effet, et la température de service. Le vin n’est plus un produit de consommation courante au sens alimentaire, il est un produit culturel, or il est encore produit comme un produit agricole comme il y a un siècle, quand on a distingué la qualité par le degré alcoolique. Autrefois, on recherchait des vins puissants et généreux, le degré élevé étant un signe de qualité. La donne a totalement changé, aujourd’hui la jeune génération cherche des boisons rafraîchissantes et se tourne principalement vers les blancs et les rosés. Il faudrait remettre au goût du jour les clairets, ces rouges légers où l’on voit le fond du verre ! Il faut aussi remettre le service au coeur de la consommation et ne pas hésiter à servir les vins rouges plus frais ; on a le snobisme du grand vin en France mais il y a aussi de la place pour autre chose, comme des rouges à mettre dans la glace !

L’offre proposée est-elle toujours en adéquation avec ces nouveaux modes de consommation justement ?

C’est là que le bât blesse. La France reste dans une logique de production : on n’écoute pas assez le consommateur et on lui impose parfois des vins dont il n’a pas forcément envie. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que certains s’émancipent des appellations et proposent des vins sans indication géographique. il faut être à l’écoute : que veut le marché ? Mais la question est complexe car en AOC (AOP), on réalise la photographie d’un terroir, donc comment satisfaire le consommateur sans perdre de vue le terroir ? La panacée n’est pas uniquement l’appellation. C’est aussi une question philosophique et culturelle : on ne peut pas faire que des grands crus, il y a de la place pour d’autres types de vins, on a le savoir-faire pour cela, mais il faut être méthodique et s’adapter à la demande.

La consommation de vin en France baisse depuis 30 ans. Selon une enquête Kantar, la consommation de vin rouge a même chuté de 32 % entre 2011 et 2021. (novembre 2022)

Cet article est paru dans le Figaro.fr

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