Oxydation et réduction

L’oxygène est le nerf de la guerre. C’est même l’élément déterminant de la composition et de la qualité des vins. De sa bonne dose dépend la bonne santé du vin, sa population microbienne, sa couleur, ses arômes, ses tanins. Trop ou trop peu : il s’agit de viser juste et de trouver le point d’équilibre. 

En résumé, et comme préliminaires : l’oxygénation « ouvre » le vin et libère ses arômes primaires, les plus fruités. L’excès d’oxygène se meut en oxydation : le vin se ternit, des arômes de rance et de noix apparaissent. A contrario, la réduction « ferme » le vin et atténue ses arômes. Peu expressif, il peut même prendre des notes foxées, animales, giboyeuses qui en général partent à l’aération. Une trop grande utilisation du soufre dans les vignes, une faible teneur en cuivre ou en azote assimilable des moûts, le manque d’aération des vins pendant la fermentation alcoolique, un mauvais débourbage en fin de fermentation peuvent être les causes d’une trop forte réduction dans les vins.

Un raisin sain dans un vin sain.

Avant toute chose, il faut un beau raisin. « Pour moi, tout vient de la vigne » martèle Thierry Germain du Domaine des Roches Neuves, à Saumur-Champigny. « A partir du moment où on n’apporte pas trop d’azote aux sols par des labours trop profonds et que l’on maintient des pH bas, on obtient des vins moins sensibles. Du coup on met moins de soufre et on a moins de problèmes ! ». L’équation semble simple, encore faut-il être conscient du travail en amont qu’il faut mener, et qui conditionne toute la vinification et l’élevage, jusqu’à la mise en bouteille du vin.

Tout commence donc à la récolte. Par le choix du mode de vendanges : à la main ou à la machine ? L’alternative fait toujours débat. Une querelle qui dépasse largement l’opposition entre anciens et modernes. Car dans le cas d’une vendange machine, la baie est séparée de la rafle : c’est la porte ouverte à l’oxygénation. David Fourtout, vigneron à Bergerac au domaine des Verdots, a bien étudié la question. Equipé des derniers joujoux mécaniques, il ne rechigne pas sur la modernité. Mais en matière de récolte, sa conclusion est lapidaire : « Pour les blancs, il n’y a aucune hésitation à avoir, rien ne remplace la récolte à la main ». Pour les rouges, l’affaire est plus discutable. En dix ans, sa machine à vendanger n’est sortie qu’une seule fois… Le Jurassien Stéphane Tissot ne dit pas autre chose : « Les écarts sont énormes entre une vendange à la main et une récolte à la machine ; si on veut de bonnes lies, favorables à une saine réduction sur les vins blancs, il faut impérativement travailler à la main ».

Des raisins sains sont un préalable au déroulement d’une belle vinification et, à terme, d’un bon vin. L’affaire se corse en cuverie. Le couple oxydation-réduction fonctionne comme une balance, qui doit trouver son point d’équilibre même si, naturellement, le vin a tendance à pencher vers la réduction. Il faut constamment protéger les raisins de l’oxydation, en créant une atmosphère protectrice avec de la neige carbonique (au fond des cuves ou du pressoir) ou en apportant de l’oxygène pur. « Autrement, on perd les arômes primaires du raisin. Mais surtout, l’ajout d’oxygène en début de fermentation favorise le bon travail des levures et leur multiplication » indique David Fourtout. Le risque dans le cas contraire ? Des fermentations qui s’éternisent, des levures qui patinent et s’épuisent et des notes de déviation dans les vins. « Pour nos vins insiste David Fourtout, plus de dix jours pour un blanc sec, c’est une fermentation ratée. Mes meilleurs millésimes se sont faits rapidement ! » Sans compter que l’oxydation ne se soigne qu’à coup de copieux sulfitages…

Ne pas laisser faire, ne rien laisser passer…

Lors de la fermentation, l’oxygène est consommé par divers constituants, notamment les composés phénoliques, mais aussi des micro-organismes avec lesquels il entre en concurrence lors des réactions d’oxydo-réduction. Les opérations qui permettent d’aérer les vins sont donc déterminantes. Que ce soit par aération, soutirage, bullage ou micro-oxygénation, les leviers à pousser sont sensibles, les réglages fins. Trop d’air et le vin s’oxyde, pas assez et il se renferme. Le travail des lies et l’élevage sous bois ne sont pas à mener en dilettante. Adam Smith peut se retourner dans sa tombe, en matière d’oenologie, il ne faut surtout pas laisser faire !

Stéphane Tissot fait partie des vignerons qui travaillent leurs vins sur la réduction : ses blancs sont élevés sur lies, sans débourbage. « La lie nourrit le vin, elle le protège et cela permet de mettre moins de soufre ». Lui parle de « bonne » réduction. « Le vin est naturellement réducteur ! Il l’est d’autant plus qu’il a de la matière, des tanins et de l’alcool. Tout le jeu consiste à équilibrer, rester sans cesse sur le fil du rasoir entre oxydation et réduction. » Un exercice d’équilibriste difficile. Du coup, il arrive que la réduction soit trop forte. Il faut alors oxygèner les vins et les lies par un ou plusieurs soutirages. Pour les cépages les plus réducteurs notamment – le malbec par exemple est beaucoup plus réducteur que le cabernet franc ou le merlot, la syrah et le poulsard le sont aussi – le soutirage est souvent obligatoire. 

L’apport de soufre (sulfitage) sur les moûts et les vins – avant la fermentation alcoolique et après la fermentation malolactique, au moment du collage et bien évidemment au moment de la mise en bouteilles – peut également engendrer une oxydation prématurée des vins blancs. Paradoxe, lors de la mise en bouteille, les teneurs en soufre libre sont en général beaucoup plus élevées aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans, de l’ordre de 45-50 mg/l au lieu de 25 mg/l ! Kyriakos Kynigopoulos, oenologue conseil pour de nombreux domaines en Bourgogne depuis plus de trente ans, explique le phénomène : « Souvent ce type de sulfitage ne tient pas compte de l’état sanitaire des raisins, d’un démarrage assez long de la fermentation alcoolique, d’une fin des sucres très longue ou d’une fermentation malolactique tardive ». La solution ? « Un suivi analytique régulier des vins, qui est souvent une grande lacune chez les vignerons ! »

Durant l’élevage, les lies protègent donc les vins de l’oxydation. « Pendant cette phase, on cherche toujours à être très légèrement réducteur » explique David Fourtout. Les vins les plus concentrés et les plus puissants sont aussi moins sensibles au phénomène d’oxydation pendant cette période, au contraire des vins plus légers qui supportent moins bien l’apport d’oxygène du fût. Si malgré tout l’oxydation devient trop forte, il faut sortir les lies, les nettoyer, voire les filtrer. Kyriakos Kynigopoulos met aussi en cause une utilisation excessive des fûts neufs, générant un apport d’oxygène trop important dans les vins : « Les vignerons qui ont toujours privilégié le « fruit » et qui ont travaillé avec un faible pourcentage de fûts neufs, de l’ordre de 10 à 15% seulement, ont connu moins de problème d’oxydation. »

Le batonnage enfin (une opération qui consiste à mélanger les lies du vin lorsqu’il est en fût), a parfois tendance à fatiguer les vins blancs en leur apportant trop d’oxygène, et par conséquent, une oxydation précoce. Ce fut le cas notamment d’un certain nombre de bourgognes des années 2000, morts avant d’avoir atteint leur potentiel de vieillissement… Le travail des lies doit se faire avec mesure, en adéquation avec le cépage, le type de vin, le millésime et même la taille du fût ! Leur quantité et surtout leur qualité sont primordiales car ce sont elles qui  protègent le vin blanc par leur côté réducteur (un peu comme les tanins pour le vin rouge). « C’est assez complexe et chacun a son approche explique Stéphane Tissot. J’ai batonné mes blancs 2014 parce que je les trouvais trop austères par exemple mais ce n’est pas systématique ». Sans compter que même le terroir influe : les sols argileux donnent des vins plus réducteurs et épicés que les calcaires !

A table !

L’oxygène exerce une grande influence sur les caractères gustatifs, aromatiques et visuels des vins. Poussés à l’excès, l’oxydation et la réduction causent des maux divers, considérés comme des défauts du vin. La réduction laisse apparaître des notes de cave humide, de caoutchouc ou de pneu. Une réduction passagère doit s’atténuer au bout de quelques minutes dans le verre – ou mieux, après un carafage. Si les odeurs persistent, ce peut aussi être du à un problème de bouchon. En général, on ressent la réduction au nez plus qu’en bouche et certains cépages, comme le poulsard ou le malbec par exemple, sont plus sensibles que d’autres.

A contrario, l’oxydation engendre des goûts de rance, de noix ou de pomme blette. Selon le degré d’oxydation, le vin sera plus ou moins fatigué, et pourra paraître plat ou éventé seulement.

La question de la conservation du vin n’est donc pas anodine. Un mode de bouchage adéquat, préservant le vin d’une oxydation prématurée, est indispensable, surtout pour les vins blancs car pour les rouges, les composés phénoliques, à pouvoir réducteur bien établi protègent de l’oxydation accélérée. Kyriakos Kynigopoulos confirme : « le manque d’étanchéité parfaite du bouchon a causé de nombreux cas d’oxydation prématurée. En cause, la taille d’abord ou plutôt son diamètre, l’enrobage silicone en paraffine, sa fermeté, sa porosité, son élasticité. » Les bouchons synthétiques, dont les ventes explosent, garantissent non seulement l’absence « du goût de bouchon » mais surtout une étanchéité parfaite. Des progrès majeurs mais qui ne sont pas encore arrivés à terme.

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